Refaire - Poèmes de Typhaine Garnier
Date du document : 2023
Date du document : 2023
Ce volume est paru aux éditions Tristram en 1999.
Il s’occupe de celles qu’il abandonne ; il leur trouve des maris, des situations ; il fait l’entremetteur. Il est généreux et tendre avec elles ; il est de leur côté ; il est fémi- nin, c’est un fennec ! Mais il est plus viril qu’aucun imbécile guerrier ; c’est un Héros et un Saint en même temps qu’un Poète.
Il rève de mariage blanc plus qu’elle, plus ; il voit des enfants dans le jardin ; il veut le bonheur parfait à chaque fois (mais il ne peut se marier !). Il fait écriture de sa Vie. Il a le noir du jais et la violence éjaculatoire.
Il racontera sa vie dans une œuvre considérable, écrivant sur les talus ; il est une partie d’un tas plus lointain, beaucoup plus obscur et nucléaire, dangereux. Il est dupé ; il parvient à la dépossession absolue, il s’éloigne à la fin sur la blancheur de la Neige, dans la Montagne, vers un Col (Tamié).
États de la matière et de l’être, angoisse extatique et délicieuse en dehors de tout territoire, cette finalité d’un projet chargé d’explosifs !
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Date du document : 1971
Ce poème est dans la ligne de Pr’Ose !
Voilà mes ancêtres atrocement poussés sur le port, à Saint-Michel, préférant Sumer, Gilgamesh, la Renaissance et sa débâcle finale…
À l’heure certaine de l’Aube, je me réveillais ceint de bandelettes, corps momifié en érection, voiture en route vers Hadès, radicalement seul, ni vivant ni mort, sans heurt et sans histoire, force inutile de n’avoir aucun appui. Alors on est l’être-même, et l’on sait que ce désespoir durera jusqu’à la fin à moins que la Fée ne surgisse.
J’ai connu les flots flous énormes des jouissances hors des possibilités de transport habituelles, enchaînant d’un postérieur à l’autre comme on peut prendre le bus trois fois avec le même ticket, crachant ma monnaie partout sur le sol et les chaises.
J’ai vu à Manchester toute la suie, ensuite prié devant les ocres cheminées des Fées. “On nait trop petites, on pourra rien défaire, on a facilement retenu ce qui nous fait ne pas être, la Voie lactée jetée dans l’eau.”
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Date du document : 2014
Au fur et à mesure du déploiement de la Cosmologie, des Cartes ont été établies pour rendre compte des modifications du territoire. De là obligatoirement des répétitions, des modifications parfois minimes. Toutes ces cartes tiennent compte également des échappées qui auraient pu se produire.
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Date du document : 2023
Encre de Chine sur Arches
Date du document : 2023
Crayons de couleur sur papier machine A4
Date du document : 2022
Pistolet 10m & dessin à l’acrylique sur cibles format 17 x 17 cm
Date du document : 2023
Encre et taches diverses sur papier de Chine pour idéogrammes. Format 52 x 25 cm
Date du document : 2023
Encre sur Japon. Format 30 x 45 cm
Date du document : 1986-1991
Dans l’édition de Verticales des Quartiers de ON ! nous n’avons pas repris avec Aphesbero la partie OR très colo- rée et très éclatée typographiquement, qui représente à peine plus de 200 pages. Je n’ai pas retenu cette partie car je craignais la difficulté de lecture entre l’hétérogénéité extrème des morceaux et l’éclatement supplémentaire de la page. Puis il me semblait que cette partie OR serait parfaite dans un “journal”, du genre Rubriques des Saisons d’Or (pas une revue) plutôt qu’un livre, comme un quotidien rendant compte des activités de ce pays-là.
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Date du document : 2014
Grande braderie des fétiches, liquidation des souvenirs les plus chers. En vrac défilent, retapés en objets de langue, motifs de l’enfance, choses du cœur et déboires du corps, dans une traversée éberluée de l’affolant fourbi de la vie, vaguement classé ici en chapitres (« Fragile », « Tout-venant », « Ne pas ouvrir », « Fins de série »).
Les dix « Vracs » d’Onuma Nemon (encre de Chine sur Arches, 2018 et 2023) n’illustrent pas, ils sont plutôt la rêverie du texte, en une série de paysages mentaux dont les lignes précises et les détails minutieux ne prennent cependant forme en aucun objet identifiable.
Les choses surgissent et disparaissent dans un même mouvement joyeux. Liquidation dit flux, dévalée de prose rapide. Entre distanciation grinçante et sensualité éberluée, l’écriture bazarde vite, sans s’apitoyer. Les souvenirs sont affublés d’un costume bouffon, l’intime emballé dans la rhétorique kitsch des petites annonces. Et bien sûr, l’emballage craque, farci d’éléments exogènes (amorces de récits, bouts de dialogues, couplets de chansons, réminiscences diverses…). Le modèle explose en même temps que les objets évoqués : bon débarras !
https://lurlure.net/vide-grenier
Éditions Lurlure Emmanuel Caroux 7 rue des Courts Carreaux 14000 Caen (France)
Date du document : 2014
La première et originale édition de cette “Cosmologie Portable” a été diffusée par les éditions Mettray accompagnée d’une grande eau-forte sur cuivre réalisée dans les ateliers de l’URDLA, constituant une des cartes de ladite Cosmologie.
Malheureusement quantité de corrections et suppressions n’avaient pas été prises en compte avant l’impression à cause d’un transfert défectueux sur un autre logiciel.
Nous donnons donc ici la version correcte prévue et définitive.
Cet appendice n’est pas exhaustif et ce n’est pas non plus un plan originel qui aurait régi la constitution de l’œuvre. Complémentaire des Cartes successivement éditées, il a été lui aussi augmenté au fur et à mesure de l’avancée du travail.
Les personnages, ou plutôt les Figures ici décrites ne représentent qu’une infime partie de la Troupe Cosmologique ; de même, les indications de construction ne sont jamais que régionales : ici valides, ailleurs elles ne le sont plus.
Quand bien même la Cosmologie n’existerait pas, cet Appendice doit être considéré lui-même comme un texte-projet utopique, au même titre que les recueils ici nommés Absolus.
Date du document : 2014
Entretien de 2014, deux ans avant la parution des États du Monde, avec un ami Franc-Maçon.
Date du document : 1965-1972
Il s’agissait avec ces petites proses de créer des types, des typons, sans faire de clichés.
Que pouvait être l’essence du roman russe, par exemple, ou de l’œuvre de Fournier.
Mais ceci sans développement, sur des formes courtes : toujours cet intérêt pour les fragments comme éclats de vérité. On renonce à la cohérence pour accéder au poétique. Incohérence, instabilité, abandon, renoncement, dans l’espoir de saisir la matière même de l’expérience. Moments de vie infimes, fragiles, sur la ligne de frontière, puissance de nouveauté.
Les Absolus sont une déduction de l’essence du monde en devenir, en mouvement. C’est ça qui est difficile : saisir à la fois le mouvement et l’absolu.
Pour prendre un exemple simple : la plus grande passion de votre vie que vous aurez éprouvée, et au moment le plus intense de son incandescence, vous décidez de la rompre ; vous refusez la cohérence du roman, et il vous reste dans les mains les deux bords vifs de l’arrachement : vous êtes retombé de l’avoir à l’être, sans même être le moins du monde bouddhiste.
Simplement malheureux.
Les absolus seraient des lieux fixés pour l’éternité dans un livre, ou des cartes postales. C’est le bonheur extatique que trouvait Lulu, à plonger dans les cartes postales et à s’immerger dans ce temps-là, celui d’une contemplation démesurée, la conscience aigüe des univers parallèles. Elle avait la faculté de circuler dans d’autres mondes, de décoller la gélatine de la représentation. Les témoins sont formels. Elle leur détaillait ses avancées. Et ce don ne fit que s’amplifier avec son agonie. Elle a vécu toute une saison dans un album.
Absolus des Saisons
Dans le recueil : Absolus des Saisons, de Nycéphore et de Nicolaï (continent Logres), il y avait le projet fou de condenser toute l’expérience d’une vie sur le temps de Pâques par exemple, comme si l’on pouvait déterminer une constance éternelle, les traits définitifs ; ou peut-être bien plus modestement, (ce qui fut le cas, et seulement pendant quelques années), une formule personnelle du Dimanche de Pâques, du jour des Rameaux, de la Toussaint ou de la Rentrée. Du côté de la constance éternelle ça pourrait être un idéogramme comme l’idéogramme de l’automne contient véritablement la rentrée des foins et celui de l’ours la clé du feu.
Le projet du Calendrier Absolu (OGR. Journal des Adolescents), reprend celui-ci pour chaque jour du Calendrier ; le 11 décembre, par exemple. Bien sûr, dans ce cas également, il s’est agi de l’expérience de quelques années seulement, on ne s’est pas astreint dès le début à une telle obsession.
La tentative est d’autant plus fictive qu’on connaît les variantes, les imprécisions et la variabilité de toutes les sortes de calendriers les uns par rapport aux autres : il ne s’agit que de conventions qui ne coïncident absolument pas d’un calendrier à l’autre. Ce père-là n’est pas vraiment mort le jour anniversaire de la naissance de son fils, comme on aurait pu le croire.
Peut-être peut-on seulement déterminer quelques moments notables des saisons (toujours les saisons, “à la chinoise”), des moments ou le Temps danseur tourne sur son axe…
Vers la fin de la République romaine le calendrier était un chaos. L’année s’appellait Annus, anneau sans commencement ni fin.
Ces Chromos Célestes se présentent comme le type absolu d’un genre et comme son achèvement, son extase peut-être.
Ils sont les photographies d’une saison éternelle où rien ne bouge, où tout se reproduit toujours exactement de la même façon, là où l’évolution n’est qu’un cycle. Ce sont des Stéréotypies Apodictiques.
On voudra bien regarder avec attention sur ce site, dans le Domaine DAO, les Célébrages de Typhaine Garnier, œuvre conçue dans la même utopie rêveuse d’un Calendrier Perpétuel.
Ces textes d’apparence japonisante – façon Hergé : c’est du français en costume japonais, mais exagéré, caricatural et (involontairement ?) bouffon – avaient pour ambition de tenter une autre transposition du haïku. Plutôt que la version occidentale habituelle (l’insipide sandwich de 5/7/5 syllabes), je voulais trouver une forme qui restitue au moyen de l’alphabet latin quelque chose de la dimension graphique et de la polysémie (et polyphonie), c’est-à-dire de la densité du haïku, associant l’idéogramme et l’écriture syllabaire.
Le résultat est un hybride, une sorte de chimère qu’on ne sait par quel bout ni dans quel sens prendre, ni s’il faut l’articuler ou seulement voir. Les signes font parfois rébus. Une syllabe s’étoile dans plusieurs directions. Des lignes sémantiques horizontales apparaissent en travers des verticales, mais furtives, hasardeuses. Le tout a un caractère enfantin, car c’est bien un jeu, un exercice d’assouplissement, où tous les coups (aïe) sont permis (alors que le haïku traditionnel obéit à des règles formelles strictes). D’où le sujet, sans doute : le chat Zoneille, agile et malicieux comme tous les jeunes de son âge, comme le chat à l’encre de Chine d’Onuma Nemon qui s’est glissé dans ces pages. À moins que ce ne soit l’influence de Maurice Roche, lu assidument à ce moment-là.
Un petit texte théorique sur l’écrivain Adalbert Stifter
Pour illustrer ce titre programmatique, j’ai choisi de ne traiter que du récit intitulé Dans La Forêt de Bavière, un des derniers textes d’Adalbert Stifter, un texte sur pas grand chose et cependant charmant.
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Fatima de taille est pure merveille, elle va à la fontaine sa cruche sur la tête, elle va et le village s’en étonne, c’est elle qui doit le faire, n’est-il pas là pour s’en occuper. Lui, c’est Istvan, sa taille est pure merveille aussi, son beau visage rayonne de santé, ses yeux sont des éclairs, il se prélasse sur la couche, Fatima doit y aller à la fontaine. Mais elle rencontre là Jabban, Jabban qui est serviable et beau comme un regard où perle la rosée.
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Comme une âme qui s’en va un petit air de flûte dans l’assemblée avait éteint les paroles et quelques uns marchant dehors baissaient la tête sous leurs turbans. Mais les chevaux piaffaient dehors, une tension dans le troupeau irritait et de même dans l’assemblée circulaient des jurons. Le cercueil resta dans l’église, et quand le musicien chanta «il est parti, ils est parti! Que les lointains l’accueillent» on entendit des pleurs et quelques gémissements. .…
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Date du document : 1972 et 1989
Ces pages perdues et non intégrées dans OR avec leur mise en colonnes, renvoient ici volontairement au recueil en cours de Typhaine Garnier dit Refaire, textes lisibles ici dans DAO : Refaire. Poèmes de Typhaine Garnier
Date du document : Février 2023
Au fil des mois, la nature ressort ses appâts, et chaque fois on s’y laisse prendre. Avant-printemps : premiers chatons aux branches nues, primevères, etc. Surprise, ravissement, on est ému comme si on avait oublié ces « tours » pourtant vus autant de fois qu’on a d’années ou presque. Il y a de quoi enrager. Les « Célébrages » sont les chromos d’un calendrier perpétuel qui tente de fixer cela une bonne fois pour toute, et qu’on n’en parle plus. Heureusement, c’est raté.
Arno Schmidt : « Le plus fiable, ce sont encore les beautés de la nature. Ensuite les livres, puis un rôti braisé choucroute. Tout le reste est versatile et vain. »
On se reportera ici même aux Absolus de Onuma Nemon, petites et très anciennes proses dont le projet était proche de cet ouvrage-ci, tout récent.
Date du document : Février 2023
Date du document : Février 2023
Ce texte est extrait d’un travail en cours intitulé « Refaire ». Même s’il y est question de choses vues, de paysages et de personnes aimées, refaire n’est pas revoir : foin des nostalgies (sauf surjouées pour rire : « Ô… ») ! Il s’agit de faire du neuf, et si possible en forme, avec de l’informulé : fatras de souvenirs, pelote de sensations, magma d’émois, etc.
Pour ça, on a fabriqué un moule, censé aider à faire consister. Description du moule :
Le but : que ça ne colle jamais. Ne pas adhérer, mais aérer. Que la droite contredise la gauche, la mine d’ironie, la glose de commentaires oiseux ou obscènes, en déforme symétriquement les phonèmes, bref, la malmène d’une manière ou d’une autre. La faille béante au milieu du texte n’étant pas frontière étanche, les deux côtés se contaminent aussi l’un l’autre. Et bien sûr, aucun n’est le « bon ». La vérité est au milieu : dans l’interstice.
Typhaine Garnier
Il faut lire également Les Pages Perdues de OR
Date du document : 2016. La Rumeur Libre
Au lecteur,
S’il est bon de faire entendre des histoires, il faut préciser que les nôtres, Lecteur, ne sont pas à entendre au sens ancien qui veut dire comprendre mais au sens moderne qui passe par l’oreille car, dit Cicéron : « le discours doit chercher le plaisir de l’oreille », ce que rapporte Aulu-Gelle. C’est donc lorsque tu liras par les yeux que tu entendras par les oreilles ce que disent ces paroles dégelées, selon Rabelais. Ainsi sache, lecteur très cher, que ce que nous racontons, c’est pour la musique !
Mais sache encore que nous ont guidé quelques maîtres anciens qui prirent soin de nous offrir quelques fruits et, dégelant nos doigts gourds, corrigèrent nos maladresses en ces temps divers, ou d’hiver, où rien n’est plus agréable à l’oreille que d’être frottée par d’autres…
À bon entendeur donc, salut ! Et qu’il en soit pour toi comme du feu roi François dont Martin Du Bellay écrivit : « toutesfois jamais adversité qui luy peust advenir ne luy abaissa le cœur ».
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Date du document : Càdiz 1969
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Date du document : 1976-1982
Tandis que le vent rabat la fumée de nos cheminées sur le ciel gris de neige et le fond des sapins, j’absorbe cette vue avec la même nécessité d’imprégnation que celle qui existe à partir d’un texte historique ou dans toute autre forme de récit. Seule la poésie offre la plus grande succession fragmentée de climats ; la force d’incantation visionnaire d’un poème comme Les Classeurs ou Terre de Grogne (1), par exemple, est pour moi colossale et n’a rien à voir avec un jeu littéraire ou une astuce verbale ; dans Les Chercheurs d’Or (2), une infime blessure ouvre un monde, comme l’agate de Roman. À toute communication préférons l’hermétisme du Chant ou de la danse guerrière.
Ainsi vont les rêveries d’un enfant au fond d’un grenier à partir d’archives familiales, ou les constructions historiques qu’on se fait, les histoires deux, ces curieuses imprégnations à partir des récits entendus en classe et des livres d’Histoire lus.
Grâce à ma maîtresse primaire (Mlle Angélique !) j’ai pu ainsi assister à la Saint-Bartélémy en la replaçant à Saint-Michel et la Sécession à Saint-Augustin. En d’autres quartiers de Bordeaux ou des villages connus, j’ai construit mes premiers récits de cape et d’épée et surtout j’ai participé à l’exaltation des Enfants Croisés qui sont venus me rendre visite la nuit, et qui agissaient essentiellement du côté du Maucaillou ; tout le Moyen-Âge était là et rayonnait tout autour de la maison du bourreau rue Saumenude jusqu’aux Halles des Capucins.
Il a suffi ensuite que Nicolas reçoive ses Commandements près du ruisseau du Peugue et devant l’entrepôt des Autobus, à Lescure, pour que ça tourne au carré, comme la Fortune !
Il ne s’agit donc absolument pas de couleur locale ni de vérité historique mais de crever espaces et époques les unes par les autres aussi vrai que le Christ a suivi la route 66 et a subi l’horreur des urines de la place Canteloup.
(1) : Livre Poétique de Nycéphore
(2) : Livre Poétique de Nicolaï
Hiver 1982
Date du document : 2012
Chronique de Fabien Ribéry à propos de On a perdu le nord ! paru dans la collection d’Après chez METTRAY éditions
Date du document : 2012
Châtaignier : tronçonneuse, pinceau encre noire, crayons graphite. Format 6 cms x 46 cms x 46 cms.
Date du document : 1964-1984
Le Livre Poétique de Nycéphore est un recueil de 240 pages qui s’étend sur vingt ans (1964-1984). Il a pour pendant un volume semblable de Nicolaï. Cela ne résume pas toute la partie poétique de l’œuvre qui comprend également des Os de Poésie (de 1984 à 2000), des poèmes en prose, poèmes sonores, etc. Ceci vaut également pour Nicolaï.
On a laissé l’intégralité du volume sans aucun choix, même si il y avait des faiblesses, à cause des correspondances en vis-à-vis entre les deux frères de chacun des poèmes. Il y a beaucoup de “remplissage versifié” : en 1964 l’auteur avait 15 ans, et il était curieusement à la fois dans quelque chose de très actuel proche de Cendrars ou la Beat Generation dans son travail radiophonique et tout une série de poèmes qui en dérivaient ; et de complètement archaïque dans d’autres poèmes ou dans l’écriture de Roman, proche de son espace de réclusion. Les deux on co-existé longtemps.
S’il y avait un choix de l’auteur ce serait là où la versification laisse la place à l’aspect hypnotique et incantatoire. On a développé ailleurs cette problématique autour de figures qui semblent traverser les siècles et qui ne tiennent pas à la prosodie.
Date du document : Décembre 1977
BONHEUR THORACIQUE
Je fus dans le corps d’un aïeul : avec ses jambes qu’on ne maîtrise plus, le vent pelant la face hirsute de la mauvaise saison, burinant ses traînées entre poils et cheveux, emportant au loin dans l’Histoire des cauchemars polaires.
La Vague circulait dans les tranchées et la lumière dans les creux, dans les versants de la vallée, à l’arrière des derniers talus d’arbustes ; les Irlandais sabotaient la campagne de Pâques jusqu’à l’insurrection. Le 16 avril 1917 flottait un énorme nuage noir pourri de neige, de fumier gelé, de gueulements au-delà des bosquets et des lacis barbelés jusqu’à la Crête des Dames d’où l’on domine les fonds humides de la vallée de l’Ailette, le Bois des Buttes, le Ruisseau de la Miette, la Ville au Bois et la Musette, et surtout les torches brûlantes et hurlantes jaillissant des chars incendiés.
Si je suis d’un printemps, c’est de cette herbe encore trop pâle ou ma mère élève des plantes comme elle ferait pousser des enfants, car elle a les doigts verts de celle qui n’a pas su sauver son fils. Il n’y a pas de bras dressé de Diane pour la défendre ; mais il y a ses mains qui nous ont défendu des mâchoires du chien en rage quand nous étions enfant, d’abord aveuglé par la lampe en forme de globe de l’ophtalmo, enfin heureux de la fenêtre ouvrant sur le jardin du médecin suivant sauveur de notre œil.
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Date du document : 1984 & Après
La Longue Marche
…
Je n’en ai pas fini d’avoir dormi longtemps, frais et dispos d’emblée, arrêté dans un lieu pour boire du café, simplement, voir des gens, sourire à tous, admirer le visage des enfants, le jeu des animaux, l’air benêt, parfaitement sans ombre.
On n’en a pas fini de la parole qui éteint tout sauf cette charge distribuée dans le ciel, de cette perpétuelle chute en avant de la course, la voix perdue quand on jouit dans la Neige jusqu’à pluspersonnevisible.
On n’en a pas fini avec le cortège qu’on voit de loin à travers les bourrasques, les trombes de pluie, de se rendre au cimetière dans des cirés fluorescents en coupant dans la paille et la luzerne, dérangées…
On n’en a pas fini comme personne privée de ramasser quantité de cadavres publics.
On en finit pas avec l’arithmétique, le vélo au soleil et le chien souffrant ;
…
Lire avant et après…
Les textes de Refaire sont des poèmes 3 en 1, les deux colonnes pouvant se lire successivement, ou bien comme un tout fendu au milieu. Idéalement, la lecture devrait progresser simultanément dans les trois directions, ce qui est évidemment impossible.
Certes, les deux franges du poème dessinent les contours d’une faille, les bords hérissés d’une déchirure, mais cette béance centrale n’est pas que la trace tragique d’un défaut ou d’un manque, elle est aussi la possibilité du jeu, de l’indécision et de la pluralité des sens (significations et directions).
Ainsi la difficulté de lecture n’est pas une défaite programmée, c’est au contraire une incitation à circuler dans tous les sens, comme à la surface d’un tableau ou d’un vitrail.
L’ensemble, la chaîne des poèmes, progresse par boucles : chaque texte est en effet à la fois circulaire (se « mord la queue »), concentré indéfiniment sur son obsession propre (une scène, un nœud de sensations hors tout continuum), et relié aux autres par la récurrence de figures et de motifs, le tout suggérant si on veut une histoire.
« RE », fermant chaque texte et ouvrant le suivant, est le maillon, en même temps que l’emblème de cette écriture, qui s’efforce de re-configurer (non re-présenter) quelques morceaux de vie en les transformant en objets de langage partageables.
Ces objets sont bariolés, bricolés à la di-able, approximativement rapiécés… On a colmaté avec ce qu’on avait sous la main (phrases d’emprunt, bribes de chansons, scènes de films…), rafistolé comme on a pu. Le résultat, hésitant entre l’éberlué et le burlesque, fixe précairement dans une forme instable ce qui tout à la fois obsède et se dérobe.
***
(On trouvera la suite de Refaire dans le numéro de Mettray d’automne 2024, avec un hommage rendu à Mettray (à la fois la revue et le lieu). L’auteur rectifiera elle-même ces documents au fur et à mesure de l’avancée de l’ouvrage.)