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Avant-propos

Voyage Biographique. Final 2 Magnifique - Joël Roussiez

Date du document : 2008

Ce texte fait partie de l’ouvrage à paraître Le Voyage Biographique de Joël Roussiez.
Une abeille voulait manger de la confiture, elle est tombée dans un piège. Les deux enfants ont vissé le couvercle, elle bourdonne à l’intérieur du bocal. Les deux enfants la regardent puis ils vont se promener dans la nature parmi les herbes hautes et les champs ondoyants. Ils brandissent leur trophée au bout de leurs bras, le portant tour à tour et le collant contre l’oreille pour écouter « bzz, bzz, bzz » ce qui ressemble à la mer. Leurs pieds les emportent et les promènent sur une lande, des animaux y bourdonnent, des mouches et des abeilles volent parmi les bruyères ; dans le ciel des oiseaux planent au-dessus des falaises. La mer est en bas. On en a le vertige. Les falaises se cassent contre le bleu des eaux, tombent du ciel, s’éloignent de la terre et se prolongent sous les vagues, le blanc devenant glauque puis sombre, puis noir. Des courants sombres disparaissent dans les profondeurs, des ombres fluides coulent sous l’épaisseur des eaux en dessinant des croupes … Un roi chevauche dans la plaine ondoyante; un enfant se colle à son dos et serre sa taille puissante. La nuit tombe et les enveloppe de formes sombres, des ombres les caressent et s’effilochent à leur passage « on dirait qu’elles les retiennent ». Le roi filait sur sa monture, l’enfant s’agrippait derrière son dos, tous deux fuyaient sur la lande sauvage. Ils chevauchaient sur les collines innombrables et regagnaient ainsi le château dans lequel la reine inquiète attendait. Le roi se dépêchait car il craignait la nuit et l’inquiétude de la reine. Il courait sur sa monture sombre. L’enfant disait : « j’ai peur! On me pince, on me griffe» … « Ce n’est rien, ce n’est rien » disait le roi en se hâtant. Leurs ombres passaient rapides parmi les forêts sombres, sur les chemins, longeant d’étranges marais où serpentaient des formes sur le sol qui se dressaient d’un seul coup, occupant toute la route, menaçantes comme des bandits de l’ancien temps, puis elles s’éclipsaient absorbées par des trous, entrainées par la boue des marais où elles se noyaient. Des arbres pas très grands fouettaient les corps effrayés de créatures qui fuyaient ; ils harcelaient les hommes aussi bien que les bêtes, ils gesticulaient dans les toiles de la nuit et s’y débattaient en sifflant de manière lugubre. Alors d’un seul coup, le soleil se mit à resplendir, il remplit de clarté l’espace d’une lande qui descendait en pente douce jusqu’aux rochers surplombant modestement la mer qui roulait à leurs pieds. Les enfants déposèrent leurs trophées et se mirent à creuser. Ils firent un trou, ils y placèrent le bocal. A l’intérieur, l’abeille bourdonnait et se heurtait à la cloison de verre. Parmi la bruyère et l’herbe sèche, ils reposaient ensuite enlacés. Leurs souffles soulevaient sans hâte leurs poitrines endormies et parfois on entendait la plainte heureuse d’un soupir satisfait. D’autres fois, c’était comme un frisson qui traversait leurs peaux. Une peur égarée passait par là et les secouait un peu. Puis ils se réveillèrent, ils s’étirèrent longuement devant la mer étale comme un lac. Lorsqu’ils se levèrent la brise caressa leurs visages et les rafraichît, alors ils jouèrent … On roule l’un sur l’autre en se laissant descendre le long de la pente. On se laisse emporter par son poids, c’est vraiment drôle. A deux, ça va plus vite. On a le tournis, la tête se dévisse, c’est ma tête, c’est la tienne. Nos têtes se mélangent, nos cheveux s’emmêlent. A l’intérieur du crâne, ça bourdonne, ça va de plus en plus vite.

Publié le 2 mars 2009 dans document DAO texte

Musil Définitif

Date du document : Septembre 2004

Cet article de Joël Roussiez est paru dans l’Atelier Du roman N°39

Formellement :
Je ne traiterai pas de la fameuse ironie de R. Musil qui a déjà été souvent analysée et que l’on peut voir s’annoncer dès le début du livre par la référence à la météorologie énoncée de manière scientifique mais disqualifiée aussitôt par des personnifications et par un récapitulatif amusant « autrement dit, si l’on ne craint pas de recourir à une formule démodée mais parfaitement judicieuse : c’était une belle journée d’août 1913 . » Ce début bien connu en reprend de similaires ; chez Scarron par exemple : « le soleil avait achevé plus de la moitié de sa course et son char, ayant attrapé le penchant du monde, roulait plus vite qu’il ne voulait. Si ses chevaux eussent voulu profiter e la pente du chemin, ils eussent achevé ce qui restait du jour en moins d’un quart d’heure…. Pour parler plus humainement et plus intelligemment, il était entre cinq et six quand une charrette entra dans les halles du Mans. » ou chez Sénèque (d’après Paul Veynes) : « Déjà le dieu du soleil avait raccourci son trajet, déjà le sommeil voyait augmenter son horaire et la Lune…En d’autres termes c’était déjà octobre… ». J’avancerai néanmoins par ces exemples que, chez R. Musil, ce procédé est moins ironique qu’il n’y paraît, c’est à dire qu’il est moins essentiellement critique. Car, s’il semble être d’abord un moyen d’amuser et de s’amuser par une distanciation, il est peut-être aussi l’expression d’une joie à découvrir dans la formule surannée une justesse tout aussi grande que dans la description météorologique qui précède. Il s’agirait alors, davantage qu’une ironie, du plaisir de voir s’accomplir par la langue et la pensée une sorte d’unité. On pourra remarquer ainsi qu’il sert la description de la ville qui suit, laquelle ne présente aucune distanciation mais au contraire amplifie la présence émotionnelle de la ville par l’emploi de nombreux adjectifs impertinents, de métaphores et d’un phrasé mélodieux caractéristique du lyrisme. C’est ainsi que derrière distanciation et humour, ce roman affirme un lyrisme qui trouvera son exaltation thématique dans l’amour fraternel * et l’Autre Etat.

Publication : Contre-Feux (archives)

Publié le 7 mars 2008 dans document DAO texte

Voyage Biographique. En passant par les Chiens - Joël Roussiez

Date du document : Hiver 1987

Quoi qu’il en soit des déclarations d’intention toujours un peu excessives, voire présomptueuses, il faudrait considérer, ce texte, Voyage Biographique, comme une sorte de réponse à la vogue de l’autobiographie qui hanta, il y a plus de vingt ans, les auteurs du Nouveau Roman qui me semblèrent alors renoncer à l’ensemble de leur projet pour revenir au psychologisme ou pour le moins au sujet fondateur qu’ils avaient combattu.
C’est donc une matière autobiographique, la mienne, qui est traitée dans ce récit par l’intermédiaire de motifs (certaines peurs ou formes de sensualité par exemple) et au moyen d’une improvisation filtrée mais continue et régulière. Il s’agissait de donner aux motifs leur élan pour les dégager des limites, personnelles ou autres, et les faire vibrer en quelque sorte dans l’extérieur, le monde ou le cosmos, suivant ce qu’on acceptera…
L’impression forte d’être traversé par des sensations, des impressions, des émotions neutres, c’est-à-dire sans véritable objet, ni sujet, d’être en quelque sorte absorbé par l’extérieur, sans intériorité donc, domine ce récit qui livre ainsi une sorte de denrée affective, proche de l’enfance (dont on ne livre, à titre d’exemple, que le tome 1 de l’ensemble qui en comporte 5).
Joël Roussiez

*

Une sorte de chose tourne inlassablement, inlassablement comme si elle cherchait à se détendre et comme si elle souffrait. Elle tourne sur elle-même, sur son propre corps, elle se contorsionne dans une pièce sombre. Le monde dehors est à peine audible. On entend le souffle lent d’une chose qui halète … Il fait chaud, très chaud, sous les couvertures. Je tourne inlassablement. Une main semble venir de loin et s’approcher de mon visage, une main qui tient un révolver et en appuie le canon sur ma tempe. Au loin, pas très loin, il y a mes pieds. Je ne m’en soucie pas. Ils sont l’un sur l’autre, croisés. Les jambes serrées nerveusement, suivent les pieds et maintiennent ainsi l’ensemble du corps en équilibre, en équilibre pas très libre, les jambes l’une sur l’autre pour maintenir le corps qui semble tourner sur lui-même. Plus haut, c’est à dire plus près de mes yeux, les cuisses s’aplatissent puis s’écartent, s’aplatissent puis s’écartent, inlassablement. Plus près encore, c’est le bas-ventre qui frémit légèrement. Au milieu, le sexe roule d’un côté, de l’autre, roule et gonfle un peu. Le ventre bat imperceptiblement sous la pulsion du sang qui passe, qui descend du cœur ou en remonte, qui suit un tuyau , un chemin tout tracé sous la peau; la peau blanche et veinée de violet bat aussi par endroit. En se rapprochant encore, c’est la poitrine qui monte, qui descend avec deux renflements, deux renflements de seins qui se froissent, se défroissent…Une palpitation à peine régulière soulève l’ensemble. Puis une main glisse, ce n’est pas vraiment une chose, elle monte le long du corps, caresse des formes, s’arrête parfois, attend, se pose sur un sexe d’homme. Elle monte, ensuite elle descend. Je ne suis ni bien, ni mal, je ne vois rien d’autre que le bout d’un nez lorsque j’essaie d’apercevoir tout un corps, un corps qui se cache sous les couvertures, qui semble vouloir tourner sur lui-même, une cuisse contre une autre cuisse pour se maintenir en équilibre. Alors, je ferme les yeux lourdement et quelque chose s’en va au loin, une chose qui tourne sans aucune raison en dehors d’un corps, en dehors de moi…

Publication : “La Main de Singe” Louis Watt-Owen

Publié le 20 février 2008 dans document DAO texte

ON : Parcours

Date du document : Décembre 2007

Sphère Biographique. La Fin.
O. N. est né en 1948. Origines : Cuba, Andalousie, Tziganes.
1954 : En même temps que l’écriture, la Cosmologie se met en place, de façon secrète.
À partir de 1966 On fait des études de photographie, marqueterie, reliure, et se prépare à devenir bibliothécaire avant de se diriger vers les arts plastiques.
De 1966 à 1968 On est producteur d’émissions radiophoniques et crée le premier café-théâtre de province où On expérimente ses premiers essais dramatiques (sous l’influence notamment de Jean Vauthier, qu’On rencontre alors), et où ont lieu des représentations d’Arrabal, Gripari, Obaldia, et des montages poétiques autour de la Beat Generation, le Dadaïsme, Cendrars, etc. On est assistant-décorateur d’Andréou sur le Don Quichotte de Paisiello et participe à Sigma (Bordeaux), mais également à des travaux dans le cadre du tout nouveau Service de la Recherche situé alors Centre Pierre Bourdan. En dehors de ça happenings. Travaux de décoration théâtrale à l’étranger. La Cosmologie se cristallise sous forme d’un délire mystique et se constitue en Cinq Continents, mais reste une élaboration secrète.

Publié le 30 décembre 2007 dans document DAO texte

Tout doit disparaître !

Date du document : 2007

Voilà ce qui était écrit sur le calicot, l’immense banderolle ballante dans le grand hall de marbre blanc aux vitres brisées de “Isla de Os”, cette sorte de domaine fabuleux, banderolle déchirée par endroits, salie, et que le vent passant malmenait par bouffées, au milieu des restes fossiles et des entassements de boîtes d’archives parmi d’autres colonnes de papiers en partie effondrées, des cadres soucieux ou brisés contenant des peintures, une grande diversité de vieux meubles de rangement en mauvais état, une incroyable collection d’œuvres d’art de tous les pays, et tout au fond une grande caisse en bois de la longueur d’un homme allongé et de la hauteur d’un garçon de douze ans, fermée partout sauf sur sa face avant, avec une séparation horizontale comme pour y dormir, si elle n’eut été encombrée d’une quantité de cartons à dessins, de plaques de bois et de métal gravées, de calligraphies enroulées et de toutes sortes de feuilles de papier en vrac.

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Publié le 9 octobre 2007 dans document DAO texte